26 Mar Entrer dans la Passion
À deux reprises au cours de la semaine sainte, nous allons entendre le récit de la passion : le dimanche des rameaux (dans l’évangile de Mc) et le Vendredi Saint (dans l’évangile de Jn).
Comment écouter avec foi le récit de la passion?
Il n’est pas toujours facile d’écouter ce récit de la passion avec toute l’intensité qui serait souhaitable alors que nous vivons dans un contexte si différent de celui du Christ, dans une vie relativement protégée et confortable.
Évidemment les persécutions de chrétiens et les injustices humaines devraient nous inviter à recevoir ce texte comme une prière de communion avec tous ceux qui subissent ces injustices, mais pour la plupart d’entre nous qui, heureusement, ne sommes pas directement concernés par de telles détresses, comment nourrir notre foi à l’écoute de ce récit de la passion ?
« La passion » de Mel Gibson
Le film de Mel Gibson, ‘La Passion du Christ’, en 2004 avait touché de nombreux chrétiens en mettant l’accent sur la cruauté des violences subies par le Christ. Il invitait à sortir d’une lecture trop édulcorée de la passion qui, à force de l’entendre d’année en année, pouvait nous conduire à ne plus nous laisser toucher par la réalité cruelle de la passion vécue par le Christ.
Néanmoins l’accent mis de manière quasi-insoutenable sur les brutalités subies par le Christ pouvait aussi entraîner une lecture biaisée de la passion, dans laquelle les souffrances auraient eu une valeur rédemptrice en elles-mêmes et chaque coup de fouet supporté par le Christ serait un peu plus d’amour donné pour l’humanité, jusqu’au moment fatal où il expire sur la croix.
Oui, la passion du Christ était brutale et il nous est bon de nous le rappeler en écoutant le récit de la passion, mais ne nous y trompons pas.
Les souffrances n’ont pas de valeur rédemptrice en elles-mêmes
Si les évangélistes n’ont pas voulu trop mettre l’accent sur les souffrances subies par Jésus, c’est parce que ces souffrances n’ont aucune valeur rédemptrice [rédemption = rachat (des péchés)] en elles-mêmes. Dieu n’avait pas besoin d’un quota de souffrances supportées par le Christ pour « racheter » notre péché.
C’est l’ensemble de sa vie donnée pour notre humanité et de fait scellée par la souffrance et la mort du Christ, et sa résurrection, qui ont une valeur salvifique (= qui nous sauve).
La passion n’a pas à être détachée de cet ensemble. Plus largement qu’un rachat des péchés, le salut peut se définir comme le partage par un être humain de la vie trinitaire de Dieu : cela comporte de fait une dimension de délivrance (de nos maladies, de nos souffrances, de nos manques de liberté et finalement de la mort), mais aussi plus largement une dimension d’accomplissement de la vie humaine dans sa plénitude, par la communion avec le Père, par Jésus, dans l’Esprit Saint : nous ne sommes plus seulement affranchis des conséquences du péché, mais nous sommes associés à la vie d’amour de Dieu pour l’humanité.
La passion est l’aboutissement d’une vie donnée pour nous
Jésus, le Fils incarné, nous a révélé cela par l’ensemble de sa vie et nous a donné accès au salut par la communion qu’il a rendue possible entre chacun d’entre nous et son Père. Il s’est mis au service de notre humanité en étant au milieu de nous : « Moi au milieu de vous je suis comme celui qui sert ». (Lc 22, 27)
Quand Jésus se heurte progressivement à l’indifférence et à l’hostilité grandissante des sadducéens et des pharisiens, il choisit de poursuivre ce service, en sachant que l’issue de sa vie sera sans doute son arrestation, son jugement, et sa mise à mort. Il accepte cette éventualité par amour pour les êtres humains, comme cela nous est rappelé à la Cène : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant qu’était venue son heure de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens [qui étaient] dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jn 13,1)
Durant ce dernier repas, il présente sa mort et le versement de son sang comme un acte suprême d’amour qui est une offre de salut, l’institution d’une « alliance » nouvelle et éternelle.
Il vit sa passion de manière pleinement cohérente avec le reste de sa vie publique, donnée pour que nous ayons la vie. Sa souffrance n’a pas de valeur rédemptrice en elle-même, mais elle a une valeur salvifique parce qu’elle est le signe de sa fidélité et de son amour pour tous les hommes. Il accepte de subir cette passion jusqu’à la mort car il ne veut pas fuir sa mission et veut instaurer entre Dieu et l’humanité une communion qui aille jusque dans les plus difficiles conditions de notre humanité : la souffrance, l’abandon de tous ses compagnons et la mort.
Rencontrant la souffrance injuste, par fidélité à la mission salvifique, il accepte de la subir comme un acte d’amour et de fidélité, en portant dans sa prière ceux-là mêmes qui le rejettent et le mettent à mort.
La résurrection vient donner son sens et son accomplissement à cette fidélité vécue jusqu’au bout. C’est cette communion avec le Père vécue jusque dans le renoncement à soi-même pour le service des autres qui aboutit à la vie éternelle et au salut de l’humanité.
Père Henri de La HOUGUE